Type
Arbitrage

Lucas Féron, la force de la passion

Jeune arbitre badge blanc promis à un avenir radieux sur les courts, Lucas Féron a vu sa vie basculer en novembre 2022 à la suite d’une violente agression. Grâce à un caractère combatif hors norme, le Poitevin a pu officier à nouveau cette année.
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Lorsque Lucas Féron évoque l’arbitrage, le mot passion surgit très vite. Une passion arrivée tôt dans sa vie, d’abord par la pratique du tennis, débutée à 4 ans au TC Amiens Métropole (HDF). Une passion qui a ensuite grandi dès qu’il a arbitré, un peu par hasard, son premier match. Lucas avait quitté Amiens quelques années plus tôt pour le Stade Poitevin et avait alors 14 ans : "A cette époque, il y avait dans les clubs les préqualifications pour les Petits As. On m’a proposé d’arbitrer un match et j’y suis allé. C’était le tout premier et j’arbitrais un copain ! Ça m’a plu, j’ai donc ensuite commencé la formation. Puis j’ai enchaîné avec le Trophée National Jeune de l’Arbitrage organisé par la FFT. Quand on finissait dans les deux premiers groupes sur les quatre que comptaient le stage, on avait accès à Roland-Garros l’année d’après..."
 
Dès 2011, alors qu’il n’a que 15 ans, Lucas Féron débarque sur la terre promise comme juge de ligne. Il met avec bonheur le pied dans le haut niveau, se rend immédiatement compte que l’arbitrage lui permet de découvrir une autre facette du tennis, mais aussi de voyager, d’être autonome. "Ma mère avait un peu peur de me voir partir à Paris seul, mais pour moi c’était un réel bonheur, trois semaines vraiment géniales. Le premier jour du tableau final, j’étais sur le court central, parce que j’avais fait des supers qualifications. Quelle fierté ! Je ne me rappelle pas d’avoir eu un grand stress parce que je savais ce qu’il y avait à faire. Je me souviens surtout d’avoir pris énormément de plaisir. Dès ce premier Roland-Garros, il y a aussi eu toutes les rencontres avec les autres arbitres. En discutant à 15 ans avec ceux qui ont déjà fait beaucoup de grands tournois comme Monte-Carlo, Marseille, Montpellier, le Rolex Paris Masters, forcément, ça donnait envie de poursuivre et de découvrir encore plus le milieu."

"Plusieurs heures après la demie Nadal-Djokovic de 2021, j’avais encore des frissons !"

L’aventure peut commencer. Classé alors 15/4, le jeune licencié de Stade Poitevin lâche quelque peu la raquette, sans regret, pour se lancer à fond dans l’arbitrage. A2 à l’époque, il enchaîne avec le niveau A3, puis le badge blanc en 2021. Avec au compteur une dizaine de Roland-Garros sur la ligne, d’autres tournois prestigieux comme Wimbledon, Monte-Carlo, le Rolex Paris Masters, mais également des centaines de chaises sur des Challengers et tournois ITF, Lucas Féron devient un arbitre chevronné, qui a aussi cette envie de transmettre, en participant à nouveau, cette fois comme formateur, au Trophée National Jeune de l’Arbitrage.

"Pour être un bon arbitre, il faut une bonne vision, une bonne voix, une forte capacité à rester concentré. Comprendre le jeu est aussi très important et avoir joué au tennis en compétition aide beaucoup. Les journées sont longues et fatigantes, notamment à Roland-Garros. Mais ça apporte de la rigueur, le respect des règles. Et ça apprend beaucoup en termes de communication."
 
Dans ce milieu où il se fait énormément d’amis, Lucas Féron s’investi à plein temps, après un Master en Sport business, niveau Bac+5. Avant de chercher un emploi, il se fixe comme objectif de se consacrer à l’arbitrage jusqu’aux JO 2024, partant sur des tournois jusqu’à 35 semaines par an. Avec cette envie de vivre et revivre autant que possible des instants magiques, comme cette demi-finale opposant Nadal et Djokovic le 11 juin 2021 : "C’est le match où Marc Maury a annoncé au public qu’il pouvait rester après le couvre-feu. Je venais tout juste de rentrer sur le court, il y avait un niveau de jeu extraordinaire et une ambiance incroyable. Au début, les gens huaient Marc Maury, pensant qu’il allait leur demander de quitter le stade, jusqu’à ce qu’il annonce l’inverse. C’était dingue et plusieurs heures après, j’avais encore des frissons ! Heureusement, j’avais pas mal d’expérience et cela aide beaucoup pour rester concentré dans ces moments-là."

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"J’ai toujours eu cette force d’y croire"

Mais le 20 novembre 2022, Lucas voit ses plans anéantis par une terrible agression à Poitiers. Au mauvais endroit, au mauvais moment. Après un mois de coma, à tout juste 27 ans, il passe plus d’un an dans un centre de rééducation nantais dont il est sorti il y a peu pour rejoindre sa famille, désormais basée aux Sables d’Olonne. Et malgré de très nombreuses séquelles, il se bat depuis le début, toujours soutenu par ses proches, mais aussi par ses amis de l’arbitrage. "C’est une grande famille, les arbitres ont été formidables. La Fédé aussi ne m’a jamais lâché, a toujours pris des nouvelles. L’an dernier, ils m’ont invité quatre jours à Roland et m’ont proposé de faire une rotation en ligne sur un match des Légendes sur le central. J’étais comme un gosse, c’étaient des sensations extraordinaires !"
 
Les moments très durs, il en a vécu et en vit encore. Mais son rêve d’arbitre n’est pas totalement brisé. "Même si au début, je pleurais à chaque fois qu’on me parlait d’arbitrage, je crois que j’ai toujours eu cette force d’y croire, de me dire que je pourrais refaire Roland-Garros." Après les Légendes en 2023, Lucas Féron va faire son retour sur la quinzaine cette année, grâce à sa volonté mais aussi à la bienveillance des responsables de l’arbitrage du tournoi. "L’an dernier, la rotation que j’ai faite s’est très bien passée. Pour l’anecdote, c’est moi qui avais annoncé la première balle de ce match ! Un an après, il n’y a pas de raison que ça ne se passe pas bien. Jean-Patrick, le chef des arbitres, m’a conseillé de faire des tournois pour tester ma vision, ma fatigabilité. Il est prêt à tout faire pour que je me sente bien, prêt à adapter les journées si j’en ai besoin."
 
Pour être opérationnel pour ce grand rendez-vous, puis pour les Jeux Paralympiques pour lesquels il a également été retenu, le natif de Lille a repris officiellement sur l’Open Masculin 86, tournoi ITF disputé à Poitiers, dans le club où tout avait commencé : "Je n’ai rien fait de particulier pour me préparer, si ce n’est que j’ai travaillé la voix et les annonces de juge de ligne. Je l’ai fait avec les orthophonistes du centre de rééducation qui étaient vraiment tops. Sur le court, j’ai ressenti beaucoup de fierté, du bonheur de voir de que c’était possible et beaucoup de soulagement..."
 
Désormais, Lucas Féron pense à plus long terme. Pour des raisons physiques, il ne peut envisager pour l’instant d’être à nouveau arbitre de chaise, mais espère continuer à faire quelques tournois en tant que juge de ligne, puis trouver un emploi, dans une Ligue ou un Comité, dès que son corps le lui permettra. Avec patience, il travaille pour ça, pour progresser encore. Celui qui fêtera ses 30 ans l’an prochain continue aussi à regarder beaucoup de tennis à la télé, même sans Roger Federer, son idole de toujours : "Pendant que j’étais à l’hôpital, Pascal Maria m’a fait parvenir une casquette dédicacée. Un magnifique cadeau !", tient-il à préciser. Lucas Féron écoute aussi beaucoup de musique, surtout du rap, adore cuisiner (il a même créé une page Instagram dédiée !). Et avance un peu plus chaque jour, porté par cet extraordinaire esprit combatif qui ne le quitte pas.

 

(Estelle Couderc)
 

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