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Comment gérer un match contre un(e) "pote" ?

C'est assez courant chez les pros, plus rare chez les amateurs : affronter un(e) ami(e) au tennis représente toujours une épreuve psychologique qu'il faut savoir gérer. Grégoire Barrère, habitué du genre, a appris à le faire.
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A 28 ans, Grégoire Barrère, qui a fait cette semaine son retour dans le top 100 après son titre à Brest, ne compte plus le nombre de fois où il a dû défier un "pote" au tennis. Notamment Lucas Pouille et Mathias Bourgue (qu'il a encore battu en demi-finales dans le Finistère), ses deux grands rivaux et néanmoins amis de la génération "94". Mais aussi plein d'autres.

"Jouer contre un "pote", ça m'arrive très régulièrement étant donné que je le suis avec la plupart des joueurs français, confirme le Val-de-Marnais. Au début, j'avais énormément de mal à jouer ces matches. Maintenant, j'arrive à avoir beaucoup de détachement et ce sont presque des matches que j'apprécie, en tout cas que j'ai réussi à bien gérer ces derniers temps."

Avec quelle méthode ? Telle est la question, valable aussi bien chez les pros que chez les amateurs.

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1/ Garder le même niveau d'agressivité

C'est souvent le problème, notamment chez ceux qui ont besoin d'être schématiquement dans l'opposition pour être performant : comment être agressif envers une personne que l'on apprécie particulièrement, et peut-être que l'on respecte trop ?

Grégoire Barrère a connu ça : "Contre Lucas (Pouille) notamment, j'ai eu énormément de mal au début. Comme il a été très fort très rapidement, je le regardais jouer. C'est lié aussi à son jeu, car il aime prendre son adversaire d'entrée à la gorge. Moi, je trouvais ça injouable. Et je me couchais. J'acceptais qu'il soit plus fort et qu'il me roule dessus, au lieu de le combattre."

"Greg" a rectifié le tir lorsqu'il a retrouvé Lucas – certes redescendu entre-temps au classement – au Challenger de Quimper en début d'année. "Je me suis dit : 'Que ça rentre ou pas, cette fois, c'est moi qui frapperai fort avant lui'. Finalement, ça m'a relâché et la physionomie du match a été à l'inverse des précédents : c'était moi l'agresseur. Il faut réussir à prendre du détachement et faire totalement abstraction de la personne qu'il y a en face."

Pas évident, mais le simple fait de s'y forcer est déjà un grand pas, le reste venant avec l'habitude.

FFT / Nicolas Gouhier
Ami ou pas, conservez un état d'esprit agressif sur le court.
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2/ Ne pas s'embrouiller sur le plan tactique

Attention, problème épineux. Trouver la bonne tactique n'est déjà jamais facile au tennis, contre n'importe quel adversaire. Mais alors contre un(e) ami(e), c'est pire ! Parce que cela devient une équation à de multiples inconnues.

"Au service, par exemple, on a tous nos zones préférentielles, on connaît par coeur celles de notre "pote", qui les connaît aussi. Donc sur un point important, on va avoir tendance à se dire : 'Il sait que je vais aller là, je sais qu'il le sait, il sait que je sais qu'il le sait…' Résultat, on ne sait plus où jouer !", sourit le 93e mondial.

Lequel conseille, plus que jamais, de s'appuyer sur les fondamentaux : "D'une manière générale, au tennis, il faut jouer simple mais c'est encore plus vrai contre un ami. Si on commence à s'embrouiller l'esprit, ça part dans tous les sens et le niveau de jeu chute. Donc même si on connaît parfaitement son adversaire et même s'il vous connaît parfaitement, il faut s'appuyer d'abord sur ses forces, sur ce que l'on fait le mieux, et ne pas modifier sa tactique préférentielle en fonction de lui."

FFT / Corinne Dubreuil
Les matchs entre les amis Gilles Simon et Gaël Monfils ont souvent été longs, et souvent en faveur de "Gilou" (7-3), qui s'est appuyé sur ses fondamentaux tactiques, comme ici à Wimbledon en 2015.
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3/ Se concentrer sur soi sans regarder l'autre

Ce point-là découle directement du précédent et suppose, cette fois encore, un gros travail d'abstraction de l'adversaire. "Souvent, le niveau de jeu n'est pas terrible dans ce genre de match entre "potes" parce que les deux sont crispés et les deux essaient d'appuyer sur la faiblesse de l'autre, poursuit le protégé de Marc Gicquel à la All In Academy. Finalement, c'est une mauvaise tactique. Encore une fois, il faut rester sur ce que l'on aime faire et y aller à fond."

Grégoire a pu l'expérimenter en 2022 contre Quentin Halys qu'il a affronté à trois reprises en 2022, battu à Pau avant de corriger le tir à Aix-en-Provence et en finale à Orléans. "Bien sûr, il y a quelques petits aspects tactiques qu'on est obligé de mettre en place. Mais ça, c'est valable contre n'importe quel adversaire. La base, c'est vraiment de rester centré sur soi. Si on y parvient, déjà, on a fait une bonne partie du travail. Après, si ça ne fonctionne pas, là oui on peut changer et faire en fonction de l'autre. Et quand il faut changer de tactique, c'est là où ça peut aider de connaître l'adversaire. Mais ça ne doit pas être le souci premier."

FFT / Nicolas Gouhier
Comme Arthur Rinderknech, soignez votre concentration, ne regardez pas celui qui est de l'autre côté du court même si c'est un ami.
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4/ Garder une attitude naturelle

Là encore, point délicat. Notamment pour ceux qui aiment soutenir le bras de fer psychologique avec l'adversaire. Pas facile d'en faire de même quand l'adversaire en question est un ami auquel on veut du bien.

Là-dessus, "Greg" pense avoir un atout : "Je suis quelqu'un de naturellement assez impassible sur le terrain, je ne m'exprime pas beaucoup et même si ça m'a sans doute desservi dans plein de matches, ça m'aide en revanche quand je joue contre un "pote" car mon attitude ne change pas. J'ai des potes qui sont au contraire très expressifs, qui n'hésitent pas à s'encourager dès le premier jeu pour rentrer dans la tête de l'autre, mais qui restent calmes contre moi car ils savent que je vais rester calme. Et en fait, ça les dessert."

Le mieux est donc, comme toujours, de rester soi-même, 100% naturel. Même si ça peut, dans les moments de tension, occasionner quelques malentendus (on le verra au point suivant) qui seront vite dissipés si l'on est vraiment "potes". Il ne faut pas avoir de scrupule à s'encourager si on aime à le faire. Respecter un adversaire, c'est aussi tout donner pour le battre. Et même être heureux d'y parvenir. 

FFT / Cédric Lecoq
Expressif comme Hugo Gaston, placide comme Grégoire Barrère ? Soyez en tout cas vous-mêmes dans les matchs face à des amis.
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5/ Savoir séparer l'homme du joueur

Tous les joueurs de haut niveau le répètent : sur le terrain, il n'y a pas d'amitié qui tienne. Une phrase banale qui ne dit pas tout de la difficulté qu'il y a parfois à faire la part des choses, comme on l'a vu au paragraphe précédent.

"Avec Mathias (Bourgue), il nous est arrivé de nous "prendre la tête" sur un Future, raconte "Greg". Lui, pour le coup, il a une vraie hargne et n'hésite pas à le montrer, même face à un "pote". Moi, au début, je trouvais ça limite méchant et j'ai fini par lui dire : 'C'est bon, calme-toi'. Ensuite, on est allé manger ensemble et c'était réglé direct."

Le joueur a fini par réaliser que son "pote", au fond, avait raison de rester lui-même. Mais cette dissociation est sans doute plus facile à faire chez les pros. Parce que c'est leur métier, et mettre l'affect de côté en fait partie. Parce qu'aussi, ils s'affrontent et se côtoient plus souvent, donc ont plus souvent l'occasion de mettre les choses à plat.

La gestion de ces duels de potes devient ainsi vite naturelle, voire routinière. "D'ailleurs, très souvent le matin de nos affrontements, on s'échauffe ensemble. De toutes façons, on se connaît tellement par cœur que ça ne change pas grand-chose", conclut Grégoire.

Potes juste avant l'entrée sur le court, potes juste après… Mais le match de tennis, lui, doit simplement être considéré comme une parenthèse un peu hors du temps où ce sont les joueurs, et non les hommes, qui s'affrontent…

(Rémi Bourrières)
 
 

FFT / Cédric Lecoq
La parenthèse du match terminé, quel que soit le vainqueur, un ami reste un ami.
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